• Titre de l'œuvre : Les Invertébrés

  • Nom de l'artiste : Lady Nightfall

  • Médium(s) utilisé(s) : Techniques mixtes (collage, acrylique et pastel) sur panneau recyclé

  • Dimensions : 61 x 51 x 2cm

  • Prix : 250$

Démarche artistique :

Figurer des figures : exorciser par la figuration

Très jeune, j’ai été influencée par l’imagerie religieuse et par les bandes dessinées. La plupart de mes créations visuelles sont figuratives. Mon sujet de prédilection: le portrait féminin. Des visages fantomatiques, dont la pâleur inquiète et dérange parfois, des traits défigurés, des regards doux, apeurés, suppliants ou fuyants…À travers la figure féminine (portraits), j’explore aussi le thème de l’angoisse, dont j’ai souffert.

La figuration « matérialise » mon angoisse, mes pensées, tout ce qui m’interpelle et me dérange. Je travaille souvent à partir d’images en noir et blanc, dont je modifie les ombres et les lumières pour accentuer le contraste, comme si je plaquais une lampe d’interrogatoire au-dessus de ces visages pour les questionner. Ils me révèlent leur beauté, leur fragilité. Ce cauchemar qui est le mien, je l’exorcise par la figuration.

Je travaille par séries. Mes recherches actuelles empruntent le thème de la Chute des Anges rebelles (thème très riche dans l’histoire de la peinture), dans une série intitulée « Anges de la Ruine », constituée surtout de collages et de techniques mixtes sur des supports variés. Les livres, les calendriers et les magazines désuets seraient sans doute jetés (ou au mieux, recyclés) si je ne les utilisais pas. La décoration, la mode, le capitalisme, la menace environnementale: tout cela me préoccupe.

Le thème de la chute des anges signifie pour moi la rébellion, la destruction du monde, le châtiment. D’ailleurs, c’est un récit qui apparaît dans le texte religieux de l’Apocalypse. Les progrès technologiques et scientifiques nous donnent l’impression que l’humanité « s’élève », tandis que la nature et la planète semblent souffrir de notre présence. J’utilise des images de mannequins dans des magazines de coiffure et de mode lus en majorité par des femmes pour dénoncer le caractère « jetable » de toutes ces modes et de tous les courants de décoration. Quand je pense à tout l’argent dépensé pour se « conformer » à telle ou telle mode vestimentaire, ou pour que le décor chez soi ressemble à tel ou tel décor de magazine…Pour moi, l’art ne devrait pas être seulement « décoratif ». Les « faux-tableaux », images imprimées en industrie sur des toiles pour imiter la peinture, me dérangent parce que les gens non seulement les achètent, mais ils les jettent et ils les changent au gré des saisons! Au lieu d’acheter une véritable œuvre d’art qu’ils conserveront toute leur vie… Je questionne notre rapport à l’art dans la société de consommation. Une œuvre ne devrait pas être vue seulement comme un « produit » ou le résultat d’une formalité technique: elle est aussi la trace d’une vision, d’un état d’esprit, d’une civilisation et d’une époque, dans un monde ou l’artiste pourrait être magicienne ou magicien, voire une prophétesse ou un prophète qui prédirait la fin du capitalisme!

Le thème de la chute, c’est aussi le combat, l’existence de l’enfer, la dualité entre le Bien et le Mal. J’ai été élevée en tant que catholique de sexe féminin, alors ce thème est aussi une façon pour moi de m’affirmer en tant que femme féministe qui rejette son éducation catholique. Rappelons le péché originel, pour lequel la femme a été tenue « responsable »: à cause d’elle, l’humanité a été exclue du jardin d’Éden (comme les anges rebelles ont été bannis du paradis), et rappelons le rôle inférieur de la femme dans la religion chrétienne en général.

La chute des anges représente la rébellion et la victoire de Dieu ou de l’ordre établi. Je pense à une autre version du récit de la création de l’humanité avec la première femme d’Adam, Lilith, qui s’était elle aussi rebellée. Je m’intéresse à la connaissance de soi et au dépassement de soi. Notre époque qui exalte la perfection, la performance et la guerre condamne souvent l’échec, l’inertie, le besoin de repos. Pourtant, il faut parfois tomber pour apprendre. J’effleure ici le sujet de la santé mentale, qui me tient à cœur. Et le métier d’artiste constitue, selon moi, une douce forme de rébellion à bien des égards.

La gestuelle des arrière-plans des œuvres de cette série évoque la nature. Une sorte de liberté, de hasard du geste. Tandis que le collage est un acte bien plus précis (découpage, choix de composition, etc.). Je découpe toutes mes images avec des ciseaux et rien n’est imprimé dans cette série. J’utilise autant que possible des matériaux recyclés parce que je me soucie de l’environnement, même si je suis consciente que je ne peux pas réaliser une œuvre 100% « écologique ». Il y a des choses que l’on contrôle, d’autres demeurent hors de notre contrôle. La nature et la science, la pratique et la théorie, le matériel et le spirituel, la vraie vie et les livres…tout cela coexiste et peut paraître incompatible. Autant de dualités à réconcilier dans nos vies. Nous sommes toutes et tous à la recherche d’un équilibre.

Quand j’assemble les éléments d’un tableau, il arrive qu’une narration se crée naturellement entre les motifs et les personnages à mesure que le tableau se construit, un peu par hasard (un personnage en regarde un autre, un papillon sort du cadre bien délimité d’une composition, par exemple). Quant aux couleurs, j’affectionne les contrastes forts (noir et blanc, noir et jaune, vert et rouge, par exemple), qui soutiennent l’idée du combat tout en exprimant une certaine violence.

Les anges représentent aussi la mémoire, puisque plusieurs images choisies proviennent de calendriers d’anges-statuettes de cimetières. Ils deviennent des gardiens, comme s’ils avaient été transformés en pierre avant ou après leur combat, et ils tentent maintenant de protéger les sépultures humaines. On ne sait plus s’ils sont les « bons » ou les « mauvais » anges. J’intègre aussi des images de planètes et de papillons dans cette série, peut-être parce que cela me rappelle la place que l’humain tient dans l’univers. Le papillon, source d’émerveillement et de mystère, me fascine parce qu’il symbolise la métamorphose de l’insecte rampant jusqu’au stade de grâce avant sa mort.

“We delight in the beauty of the butterfly, but rarely admit the changes it has gone through to achieve that beauty.”

― Maya Angelou

Joindre l'artiste :

Christine Lafrenière

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